En 1994, le Posilac, un produit biotechnologique conçu par Monsanto, est commercialisé pour les éleveurs souhaitant augmenter la production laitière de leurs vaches. Malgré son autorisation, il défraie la chronique et suscite la controverse. Troisième épisode de la série Monsanto : l’hormone bovine de croissance recombinée.
La somatotropine bovine recombinée (rBST) ou hormone bovine de croissance recombinée (rBGH) est la première application de la biotechnologie à la production d’aliments autorisée. A l’origine, la somatotropine est une hormone naturelle secrétée par l’hypophyse (ou glande pituitaire dans le cerveau) de la vache à la naissance du veau. Elle augmente sa production laitière et mobilise ses réserves corporelles. Dans les années 70, des chercheurs sponsorisés par Monsanto isolent le gène qui produit l’hormone et l’intègrent dans la bactérie E. coli (présente dans la flore intestinale). L’hormone transgénique obtenue augmente artificiellement le rendement laitier d’environs 15%, au-delà du cycle naturel à la suite de la naissance du veau.
Un dossier controversé
La FDA (Food and Drug Agency) valide le dossier présenté par la section scientifique de Monsanto en 1993. Une décision controversée par le vétérinaire Richard Burroughs qui avait rejoint la FDA en 1979. Pendant trois ans, de 1985 à 1988, le vétérinaire étudie le dossier présenté par Monsanto, qu’il considère comme trop léger au niveau scientifique. Il se présentera en 1993 devant le conseil consultatif du centre de médecine vétérinaire de la FDA (Center for Veterinary Medicine) pour exprimer ses craintes face au produit. Selon lui, les études de Monsanto, bien que réalisées aux quatre coins du pays, n’ont pas bien pris en compte les possibles risques de la somatotropine bovine recombinée sur la santé des vaches. L’hormone transgénique provoquerait notamment une augmentation des mammites (une inflammation des pis), mais aussi un grave problème de reproduction et des boitements. Richard Burroughs, après avoir fait part de ses inquiétudes à la direction, est renvoyé pour « incompétence » en novembre 1989. Il porte plainte pour licenciement abusif et réintègre la FDA en 1991 sur la décision de la Federal Merit Systems Protection Board, avant de démissionner. Le produit est finalement commercialisé aux agriculteurs en 1994 sous la marque déposée Posilac.
Les conséquences sur les consommateurs
Alors que contient une brique de lait ? Selon Samuel Epstein, professeur en médecine environnementale de l’université de l’Illinois, elle comprendrait du pus (l’une des conséquences des mammites), des antibiotiques, dont les agriculteurs se servent pour traiter ces inflammations, et enfin une concentration importante d’IGF1 ou facteur de croissance 1. Cette hormone, également appelée somatomédine C, est secrétée par le foie. Une soixantaine d’études, dont certaines résumées dans la gazette de Harvard, montrent une corrélation entre un taux élevé d’IGF1 et les cancers du sein, du colon et de la prostate. Samuel Epstein est décédé en 2001. Il avait révélé en 1989, avec le journaliste d’investigation Pete Hardin, des documents confidentiels de Monsanto dans la revue The Milkweed qui a publié le résumé de l’enquête en 2007. Il a également écrit le livre « What’s in your milk ? ».
Malgré ces conclusions alarmantes, la dose d’IGF1 présente dans le lait provenant de vache traitées, bien que supérieure à celui du bovidé sain, serait en quantité négligeable par rapport à ce que l’humain produit selon un rapport de l’OMS datant de 2014. Ce même dossier explique que la hausse des mammites (25%), en corrélation avec la prise de Posilac, n’induirait pas une prise disproportionnée d’antibiotiques et donc de quantités trop importantes dans le lait. Cependant le comité a affirmé ne pas avoir les données exactes de l’utilisation de médicaments dans les fermes utilisant le Posilac. En se basant sur les études déjà faites sur l’hormone bovine de croissance recombinée et ses effets, l’OMS a déduit qu’il n’y avait pas de risque pour la santé humaine. Une conclusion partagée par la FDA dans sa révision de la rBST en 2013, dans laquelle elle explique une réduction des traces d’antibiotiques dans le lait transporté en vrac depuis les élevages se servant du Posilac.
L’hormone de croissance bovine dans le monde
- Aux Etats-Unis, la somatotropine bovine recombinée est toujours autorisée. Monsanto a cédé le Posilac pour 300 millions de dollars, en 2008 à Elanco, une entreprise internationale spécialisée dans le domaine de la santé animale, rattachée au groupe pharmaceutique Eli Lilly. Sur l’étiquette du produit, on voit clairement apparaitre les risques et les effets secondaires possibles pour la vache. La FDA interdit néanmoins de labelliser le lait comme étant produit « sans rBST ». Selon l’agence, en raison de « l’absence de preuve d’une différence significative entre le lait provenant de vaches traitées au rBST et celui des vaches non traitées au rBST, l’utilisation de la demande des consommateurs comme une justification pour un étiquetage obligatoire supplémentaire serait violer la loi ». Certaines associations de consommateurs continuent de faire blocage contre l’hormone transgénique, en témoigne cette réponse cinglante de plusieurs organismes à l’étude d’Elanco garantissant la sécurité du produit.
- Santé Canada, le ministère responsable de l’homologation de l’hormone bovine de croissance recombinée, a annoncé en 1999 qu’ il n’autoriserait pas la vente de rBST sur son territoire. S’il reconnait qu’il n’y a pas de risques potentiels pour les humains, il souligne « des préoccupations en ce qui a trait à la santé des animaux».
- La même année, l’Union Européenne interdit sa vente et son utilisation sur son territoire en raison de ses effets nocifs sur les bovins démontrés notamment dans une étude du comité scientifique de la santé et du bien-être des animaux remplacé par l’ Autorité européenne de sécurité des aliments. Elle autorise cependant « la production ou l’importation de somatotropine bovine dans les États membres aux fins de son exportation ».
- La rBST est également proscrite en Australie et en Nouvelle-Zélande.