Climat :

À nous de jouer !

Le pacte de Paris sur le changement climatique est bien un événement planétaire majeur qui va marquer tout le XXIe siècle, même si les ambitions sont plus fortes que les moyens d’y parvenir pour éviter le pire. Mais il s’agit d’un point de départ et non d’un aboutissement. À nous de jouer !

Photo Arnaud Bouissou – Medde/SG Cop 21
Un accord historique est signé. Photo Arnaud Bouissou – Medde/SG Cop 21

Le changement climatique, c’est une histoire de temps qui passe, un temps qui nous est compté. Par son caractère universel et inédit, l’accord de Paris a déclenché le compte à rebours, au sens propre d’un « décompte vers une fin connue » : celle d’un réchauffement au-delà des 2 degrés Celsius ou en-deçà comme il faudrait s’y tenir.

À Kyoto, le 12 décembre 1997, l’Homme a reconnu pour la première fois que ses activités avaient un impact négatif sur le climat mais seuls 37 pays industrialisés s’étaient engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre – ces fameuses GES – de 5,2 %. Les États-Unis ne sont jamais allés plus loin que la signature du traité. À Paris, le 12 décembre 2015, c’est toute la communauté humaine qui s’est donné un plan pour agir, issu d’un accord qui n’a de juridiquement contraignant que le nom. Il a fallu 18 ans pour en arriver là.

Pendant ces deux décennies, le monde a beaucoup changé et l’axe des plus fortes émissions des six gaz à effet de serre s’est déplacé massivement vers l’Asie. À Kyoto, les 37 pays engagés représentaient 55 % des émissions. À Paris, ils ne valaient plus que 15 % ! Et alors que les émissions des 37 ont baissé dans l’ensemble, elles ont progressé au niveau mondial de 40 % dans le même laps de temps et la Chine a pris la tête des pays les plus émetteurs de GES. En cause donc, le formidable développement économique des pays asiatiques, fondé sur le charbon et au service du monde occidental.

L’ours mécanique de Greenpeace a grondé à la Cop pour être entendu des négociateurs. Photo de Yves Leers.

Retour à Paris sur cet accord universel qui a déjà fait couler beaucoup d’encre à la fin de l’année qui a battu tous les records de chaleur. Les commentateurs les plus critiques au lendemain de la Cop auraient sans doute été les premiers à se désespérer en cas d’échec comparable à celui de Copenhague en 2009. Mais l’ambiance y était bien différente et la volonté d’aboutir claire, avec le soutien constant des États-Unis et celui, plus discret, de la Chine, du Brésil et de l’Afrique-du-Sud (les fossoyeurs de Copenhague). Alors l’échec était-il interdit à Paris ? Jusqu’à l’avant-dernier jour, rien n’était exclu. Comme à Kyoto, il a fallu jouer les prolongations pour mettre (presque) tout le monde d’accord au prix de compromis inévitables et grâce à un Laurent Fabius en meneur de jeu incontesté. On connaît les bases de cet accord, qui n’est pas un traité et pourra donc être approuvé sans passer par la case ratification qui avait pesé si lourd pour Kyoto. Obama pourra se contenter d’un décret présidentiel.

Pris de vitesse ?

Les ambitions affichées sont de haut niveau : rester sous la barre des + 2 degrés d’ici 2100. Mais comment s’y prendre dès lors que les promesses d’engagements des pays nous emmènent allégrement à 3 degrés voire davantage ? Mais si, répondent en chœur les négociateurs, nous nous reverrons tous les cinq ans pour des engagements plus forts. Acceptons-en l’augure ! Positifs, les engagements financiers post-2020 (les 100 milliards de dollars) ont été pris mais le long terme est incertain.

Et les fossiles1, c’est fini ? Oui, mais après 2050. Par quoi les remplacer ? Les énergies renouvelables ont été plébiscitées à Paris et cent villes du monde se sont engagées sur cette voie durable ainsi que de nombreuses entreprises. À suivre. Dommage que l’indispensable sobriété énergétique ait été oubliée. Quant au nucléaire, il n’a jamais été si discret. Et tout de suite, avant 2020, que fait-on ? Business as usual. « Tout est joué pour les deux prochaines décades et il faut agir tout de suite », clament les climatologues. Certains se sont aussi étonnés que le transport aérien et le fret maritime aient été une fois de plus absous, que la sécurité alimentaire soit restée secondaire, comme les droits humains.

La tour Eiffel symbolique de la Cop salue l’accord. Photo de Yves Leers.
La tour Eiffel symbolique de la Cop salue l’accord. Photo de Yves Leers.

Le temps passe ? Rio c’était en 1992, Kyoto en 1997, Paris en 2015… où est le sentiment d’urgence sinon dans les discours ? Deux grands climatologues se sont même demandé si les gouvernants avaient bien lu le texte qu’ils ont adopté. « C’est un accord politique, pas scientifique », répondait-on au Bourget. C’est sans doute là que le bât blesse alors que, pour la première fois, les températures ont été supérieures à 0 °C dans l’Arctique, deux semaines après la fin de la Cop. Nous risquons bien d’être pris de vitesse.

Un problème géopolitique

L’accord de Paris est un cadre pour aller plus loin mais il faut se poser la question qui fâche : le cadre onusien est-il vraiment adapté à des négociations à 195 qui deviennent monstrueuses et de plus en plus ingérables surtout avec la règle du consensus ?

À Kyoto, raconte l’économiste du climat Jean-Charles Hourcade, la délégation française comptait une vingtaine de personnes ; 250 à Paris en 2015. Selon lui, tout le monde a sous-estimé la complexité du dossier. « Du coup, le jeu politique et diplomatique exigeant des simplifications, les négociations se sont heurtées à des difficultés sémantiques et des pièges rhétoriques », pense-t-il.

Le prix Nobel de l’économie, Jean Tirole, met directement en cause le processus onusien qui, dit-il, « a montré ses prédictibles limites ». Il plaide donc en faveur d’une « coalition pour le climat »2, comprenant au départ « les grands pollueurs actuels et à venir ». Ainsi, explique-t-il, « les membres de la coalition pèseraient sur l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui pourrait alors autoriser, pour cause de dumping environnemental, une taxe aux frontières vis-à-vis des pays refusant d’imposer le prix du carbone qui permettra de réaliser l’objectif climatique ». La société civile doit avoir aussi son mot à dire. Jean Tirole pense enfin qu’il « convient de simplifier la négociation en sériant ce qui est simple et donc devrait être acté, et ce qui devrait être le vrai objet de la négociation. La lutte contre le réchauffement climatique n’est pas un problème économique (‘on sait faire’), mais un problème géopolitique. »

Rendez-vous en décembre 2016 à Marrakech pour une Cop 22 africaine. Le continent a bien besoin qu’on se penche sur son avenir climatique !


1. La combustion des énergies fossiles est responsable de 80 % des émissions de CO2 dans le monde.

2. L’Opinion, 12 décembre 2015.

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Yves Leers

Journaliste spécialisé dans les questions d’environnement (AFP), conseil en développement durable (L’Atelier du climat), ex responsable de la communication et de l’information de l’ADEME.